02 - Dieux, daimones, héros Feb. 14, 2019

from Collège de France (Histoire des religions)·

Vinciane Pirenne-Delforge Collège de France Religion, histoire et société dans le monde grec antique Année 2018-2019 Dieux, daimones, héros Le daimôn le plus célèbre de l’historiographie de la religion grecque est assurément l’eniautos daimôn de J.E. Harrison, un artefact interprétatif forgé pour rendre compte, en contexte grec, de l’esprit de la végétation tel que J.G. Frazer l’avait conçu dans son célèbre Rameau d’or. Dans cette perspective, où transparaissent aussi les réflexions de Durkheim sur l’effervescence collective des rituels, les daimones sont censés appartenir aux strates « primitives » de la religion grecque, avant de devenir des theoi. Ce type de …



Vinciane Pirenne-Delforge Collège de France Religion, histoire et société dans le monde grec antique Année 2018-2019 Dieux, daimones, héros Le daimôn le plus célèbre de l’historiographie de la religion grecque est assurément l’eniautos daimôn de J.E. Harrison, un artefact interprétatif forgé pour rendre compte, en contexte grec, de l’esprit de la végétation tel que J.G. Frazer l’avait conçu dans son célèbre Rameau d’or. Dans cette perspective, où transparaissent aussi les réflexions de Durkheim sur l’effervescence collective des rituels, les daimones sont censés appartenir aux strates « primitives » de la religion grecque, avant de devenir des theoi. Ce type de reconstruction crée une sorte de « roman des origines » où le daimôn émerge de temps primordiaux qui ne sont jamais datés. Pour sa part, L. Gernet, lui aussi profondément influencé par l’école sociologique française, ainsi que par les Götternamen de Usener, fait du daimôn une réalité divine impersonnelle, qui semble relever du mana cher à Durkheim. Le xxe siècle accordera davantage d’attention aux interprétations philosophiques, voire astrologiques, du daimôn. C’est ainsi que M. Detienne a étudié le daimôn dans le pythagorisme ancien. En introduction de son ouvrage sur le thème (1963), il épouse certaines des intuitions de Gernet en les exprimant dans le langage de C. Lévi-Strauss. Le daimôn devient alors un « signifiant flottant », ce qui veut dire qu’il n’a pas une valeur fixe. En regard de ces différentes interprétations qui ont couru sur un bon siècle, c’est une grille d’analyse « polythéiste » que l’on tentera d’appliquer au daimôn dans les semaines qui viennent, afin d’aborder la question importante de la représentation, par les Grecs, de l’action divine dans le monde.